Proposition de modules artistiques,
dans une perspective stratégique d’approfondissement, agrandissement des commémorations de la Déportation, Libération, Abolition de l’Esclavage, Marche du 17 octobre 61… pour la ville préfecture de Bobigny
« C’est ici, dans cet extrême danger qui menace la volonté, que survient l’art , tel un magicien qui sauve et qui guérit » Nietzsche
Soucieux… et dans le désir de répondre à une question récurrente : « qui est là, présent, aux commémorations…. et qui pourrait, plus, plus nombreux, mieux encore, impliqué, être présent, à ces évènements , manifestations publiques, hautement républicaines, politiques, au sens où la « polis », la cité se donne à voir, se (re )constituant pacifiquement, rituellement depuis ces moments (re)connus, (de)passés, (re)vivifiés, (re)oxygénés par « langages » de plein pouvoir, (danse, chant, poésie) -nouveaux souffles- … combats gagnés. Libérations
Soucieux, et après avoir identifié, découvert, rencontré, toutes les lamelles de l’éventail, (associations, structures éducatives et culturelles municipales, départementales, régionales , nationales) sur le territoire balbynien, et leur fonction, public, spécifiques, … et leurs difficultés… (en collège, les professeurs d’histoire, « trop », ou « pas assez », ne quittent pas le programme, ne s’aventurent plus dans des expériences hier mal passées, douloureuses, de confrontation avec déportés, ou « question » juive ; aussi quant à l’abolition de l’esclavage… et au 17 octobre 1961 … ! )
Soucieux et néanmoins cœur vaillant, il nous a semblé – transversalité, transdisciplinarité oblige – nécessaire de concevoir, une version artistique de ce qui autrefois se serait appelé éduction populaire. Actes posés, comme cailloux blancs, en amont des commémorations qui demeurent toujours moments de co-alescence. Actes théâtraux inédits, occupant, emplissant, comblant lacunes, blancs, trous de mémoire, et d’Histoire, (« le passé n’éclairant plus l’avenir, l’esprit marche dans les ténèbres », écrivait Tocqueville), pour des habitants qui pourraient ainsi, être conviés, invités à un « voyage dans une première classe » ou mieux à une « inscription en première classe ».
Car il s’agirait bien d’une classe – d’une salle de classe – aménagée comme telle, dans laquelle, classe unique, 40 personnes, entré rituelle, prendraient place derrière des tables d’école.
Mercredi fin d’après midi. Durée 55’ … qui sont-elles et d’où venues… ? enfants du primaire, anciens des ateliers arts plastiques, membres des chorales, enfants adolescents du conservatoire, participants musiciens , maison des parents, des projets, conseil municipal des enfants, des associations africaines, associations outre mer, enseignants… , accueillies par un, (une) comédien et son adjoint -le Maître- , re-situé dans son époque.
Au milieu du public entrant dans cette salle, légèrement réaménagée – carte murale, globe terrestre, instruments de géométrie, tableaux noirs – caché, insoupçonnable, un adolescent, qui prendra en charge l’écriture, dans son journal, de ce qu’il vit, éprouve à ce moment là de l’Histoire. Ce peut être le « journal » d’Anne Franck, les « paroles d’école » de Chamoiseau, « Pierre sang, papier ou cendre » de Maissa Bey, « Mémoire d’un esclave » de Douglass)
Appliqué, concentré, il ne cessera d’être en situation « d’écrivant », hors règlement, pendant que dans les silences demandés par l’Instituteur pour effectuer par exemple, une recherche dans les livres d’images, posés sur chaque table (reproduction de tableaux, d’œuvres d’art en relation avec les époques concernées), le texte pré enregistré sera diffusé, étrange play back (mémoire secrète, intime, en train de s’écrire…, audible, à nos oreilles).
Plusieurs modules seront proposés en fonction des dates de commémorations, (dont l’élaboration artistique sera lié forcément et ce, malgré nous, à ce qui aura été vécu pendant ces heures). Déportation. Résistance et libération. Abolition de l’esclavage. Marche pacifique des algériens.
En tirer des leçons ?
Quelle matière abordée ?
Première leçon de vocabulaire… (l’étymologie ; la « matière » est d’abord le tronc dur de l’arbre dont on fait le bois de construction et les matières étudiées ne seront elles pas éléments de construction d’autres co-naissance ? , avant d’être ma « mater », la mère ?).
Leçon d’Histoire (des temps forts, mais annoncés ; mise en perspective longue, repère donné dans une trajectoire … toujours des forces antagonistes ont été à l’œuvre. Spartacus, premier esclave libérateur ; les spartakistes allemands en 1916 Liebnecht et Rosa Luxembourg, Toussaint Louverture, nouveaux Spartacus ; l’humanité secrète des figures acharnées au combat pour la liberté et l’indépendance)
Leçon d’instruction civique (invention du code : le code noir, le code de l’indigénat, le code civil, réflexion sur la loi).
Leçon de géographie (à l’aide de cartes murales géantes, les frontières… qui bougent sous nos yeux), à l’aide d’autres cartes (d’identités, postales…). Déplacement des frontières, mais aussi des hommes (disparition de peuples, Déportation..).
Leçon de géométrie (la règle, le rapporteur, le triangle, l’équerre, l’angle droit, la sphère terrestre). Histoire d’une matière première, (exemple : le coton) ; histoire du matériau humain exploité (l’être humain dans les camps de travail, l’esclave dans les champs) : enjeux économiques de la force de travail. Sur-exploitation, à l’aide de documents sonores (exemple : en même temps que le chant des marais, le chant tzigane, quasi inconnu).
A l’aide d’objets symboliques (cadre vide, pour montrer le hors camps ; cadre déformant…)… tous accessoires qui en plus de l’écriture décalée, (mais empruntant néanmoins au code de l’instruction républicaine, laïque et obligatoire, son armature, son rapport à une langue française qu’il était impératif d’employer construiront dans l’espace temps de ce voyage immobile, une relation ludique et néanmoins profonde, aux savoirs, aux ignorances ; aux oublis et le jeu dans et avec la langue (des pays dont il serait question plus précisément, Algérie transposée, Antilles réinventées…) ferait écho, sans les nommer aux difficultés des apprentissages contemporains.
Leçon de morale (le Résistant ; le Désobéissant ; la pacifique)
Leçon de dessin (la ligne d’horizon….)
Leçon de calcul (qui a intérêt à ce que ; le nombre, comment décompter, et qui et quoi ? compter ?).
Aussi souvent que possible, faire surgir, apparaître ce qui subtilement dans le langue se donne à entendre donc, comprendre… des significations nouvelles. A aucun moment, bien sûr, il n’y aurait personnalisation, prise à parti des spectateurs élèves. L’Instituteur est face à une classe dé-réalisée. Il produit une fiction, comme superposée, grâce à des rythmes, des ruptures de ton, de diction, fiction dans laquelle, les élèves seraient baignés.
A raison d’une ou deux fois par mois ces modules prépareraient, indirectement, à ce qui pourrait devenir désir d’en savoir plus, et par conséquent, faciliterait l’inscription, dans une extension nouvelle, de leurs interrogations… qui ne pourraient demeurer sans réponse, puisque après ces heures de classe, un échange serait possible avec nous, et livres, documents, enregistrements, tout matériau d’appropriation lié au sens des commémorations.
Tous ces fragments de leçon ne seraient pas cumulés en une seule séance bien sûr, mais articulées en fonction des matériaux trouvés, de leur pertinence par rapport au texte autobiographique, découpé, à l’équilibre entre informations lourdes, denses et respirations crées par l’écoute de chants ou l’apparition d’un intervenant (complice comédien ou complice balbynien) – « inspecteur », « directeur »…. Ces créations nous donneraient enfin la possibilité d’ouvrir sur des lendemains (et l’Instituteur concluant sur les expériences faites sur le corps des prisonniers dans les camps évoquerait, rêve à voix haute, la possibilité un jour de « réparer » les corps par nano- robots… science comme fiction, science qui permet de greffer, puce, mémoire à activer ou des.activer… je choisis de savoir ou de ne pas savoir ; d’oublier ou ne pas ; de me souvenir ou ne pas….)
En guise de conclusion : une ré.ouverture
A la triennale d’Echigo-Tsumari, au Japon, « Christian Boltanski » a offert à une école désaffectée une de ses plus grandes installations au monde : ampoules flottant au vent de ventilateurs posés sur un parterre de paille, catafalques de drap blanc sertis de néons, lumière palpitant au rythme cardiaque… on croirait visiter la tombe de nos illusions contemporaines… in Journal Le Monde d’août 2009. Cette installation s’appelait « Dernière Classe ».
Nous pensons, nous qu’il faut ré.agencer les données et que les cœurs battant, de ceux qui composent notre prodigieuse humanité appellent une mobilisation de toutes nos inventions, de tous nos engagements, de tous nos imaginaires, là dedans ces classes en suspens se vivront d’outre-mondes.
« Mémoire et histoire se confondent parfois, s’opposent souvent. Particulièrement lorsque l’histoire officielle refoule celle des vaincus et qu’il ne leur reste que leur mémoire à opposer à la mécanique de l’oubli. Histoire et mémoire sont donc éminemment politiques et constituent un terrain de lutte de première importance », écrit Eduardo Galeano, depuis son Uruguay natal.
Nous l’entendons.
Puissiez vous l’entendre aussi, mais de cela nous ne doutons pas.
Compagnie de la Pierre Noire
Maryvonne Vénard/Antonio Iglesias
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