LIGNES DE VIE
« GARE SANS VOIX »

- Un endroit de nulle part
- ou, plutôt : un endroit très précis en Europe, en France, en Seine St Denis, en Bobigny, oui, enfoncé en Bobigny
- l’entrée : « impasse de l’Étoile », mais cette impasse bientôt n’en sera plus une
(et non : la gare « Haut Lieu de Déportation » indiquée depuis l’avenue Henri Barbusse ne donne pas accès au parcours, accès momentanément barré)
- l’entrée : et chaque balbynien interloqué se demande si c’est possible, vraiment de pénétrer dans ce lieu : «Lieu de Transportation »… des camions, lourds, alourdis, apportent, emportent tonnes d’acier fracassées.
- l’entrée : le portail, neuf, laisse voir, regard neuf, une esplanade lissée de sable clair ; des rails affleurent, tracent le long de plaques rouillées hautes, sur la droite, s’éloignent on ne sait où (peut-être jusqu’à ce bâtiment dont on aperçoit, dans le lointain, un fragment de façade, la gare ?)
- depuis des structures tavelées, taraudées, depuis des cylindres, colonnes fortes, surgiront sept archéologues, carapaçonnés de rouge ardent, bleu nuit, casqués, harnachés de micros, détecteurs, hauts parleurs.
- l’un d’entre eux (l’une ?), recouvre le sol devant l’entrée, d’une orchestration émise par une sorte de projecteur sonore, dont il arrose déchets métalliques restants et sol apuré.
- devant la bouche, un haut-parleur : l’Archéologue 3 interrompt la partition. Le portail s’ouvre : l’ARCHEO 2, après avoir fait entrer le public, s’appliquera à capter les vibrations des différentes strates, plaques métalliques, obliques.

ARCHEO 3 (apparaissant, disparaissant depuis ce qui semble être un fragment de passerelle ; et pendant que l’ARCHEO 2 ouvre le portail).

- Ce chantier étant en perpétuelle réinterrogation, reconfiguration, toutes les zones n’ont pas encore été recouvertes de nappes sonores, protectrices, isolations phoniques, qui le rendent totalement sécure.

(L’ARCHEO 1 s’éloigne du public, chorégraphiant l’espace.)

ARCHEO 4 (debout sur un socle demi-lune, fonte épaisse, puis occupant le terrain par une signalétique gestuelle qui le découpe)

- Voici, bien venus, les temps…
Voici, venu, le temps, mi-temps, temps plein où interrompant notre chantier, suspendant notre recherche, nous pouvons, nous devons rendre public un premier état – au plein milieu des lieux.
Archéologues à spécialisation encore méconnue des grands et petits publics, nous sommes, équipe, (complétée équipement), en charge de faire le relevé cartographique, (concernant cette mouvante planète Terre), des lignes de vie, lignes mélodiques, lignes d’intense vigueur qui doivent dessiner, dessineront l’expression d’une Humanité passée, à son plus haut degré d’harmonie – fragments d’un âge d’or…

ARCHEO 5 (à l’aplomb juste, juste au-dessus d’un cylindre compact)

- Ces fouilles archéologiques ont une caractéristique : elles sont effectuées sur l’ensemble des sédiments, strates où s’enchevêtrent toutes langues confondues, des émissions chuchotées ou vociférées, diffuses ou radio-diffusées, proclamées ou télé-phonées (tout individu, tout groupe déposant en continu des informations innombrables qui constituent les épaisseurs de leur, notre, votre mémoire, lourde de dits non-dits à déchiffrer...).

(au loin, apparaît l’ARCHEO 6 ; muni d’un appareillage, sonde acoustique et émetteur intégré, il auscultera systématiquement le paysage engorgé de décombres).

ARCHEO 4

- Ces fouilles ont encore une autre caractéristique : elles sont conduites par le repérage de lignes de vie tracées par des communautés humaines au cours de ces 3 derniers siècles ; lignes de vie qui ont la particularité d’apparaître, vues à travers le balayage satellitaire, à notre disposition, extrême précision, très lisiblement, sous forme de traînées persistantes, rouge vif. Marquage au sol, que vous reconnaîtrez dans le parcours - mais elles peuvent aussi s’enfoncer, se dissoudre, disparaître brutalement – leur interruption annonçant toujours des catastrophes de grande amplitude.
Ayant constaté que l’ensemble de ce site était pointillé de ces lignes jusqu’à conduire à un bâtiment, identifié après confrontation iconographique comme étant une gare, nous avons décidé de dégager les voies qui y conduisaient.

ARCHEO 3
- Mais, nous vous demandons, instamment, de ne vous écarter en aucun cas du trajet fraîchement balisé et de ne toucher à rien, quoiqu’il arrive : des symboles et signes des fascismes, mis à jour, n’ayant pas encore été complètement relevés et pouvant disparaître à jamais, pour la qualité de nos travaux de recherche, il vous est demandé de ne porter la main sur aucune surface, aucun support.

ARCHEO 4

- À l’aide de gravato, excavato, électroaimant, grue de haute précision, engins doués d’intelligence, équipage sur qualifié ; de béance vertigineuse en failles historiquement chiffrables, guidés par des détecteurs extrêmement puissants, nous avons exhumé une succession de boîtes noires enfouies dans les décombres.

ARCHEO 5

- Outillés de stéthoscopes d’une grande subtilité, certains d’entre-nous sont en train d’essayer de capter ce qui fut enregistré lors de ces catastrophes-mondes – Désastres humains : terrain - terre pulvérisés, choc contre choc des armes contre elles contre tendre chair tendre terre tendre ciel – Réseaux sensibles délabrés – Or – aucun son, ne put être capté de la gare – ne peut remonter de ce gouffre absolu.

(- l’ARCHEO 2 donnera alors à chaque visiteur une de ces protections utilisées dans d’autres champs opératoire… ceux de la chirurgie)

ARCHEO 3

- Attention, attention, avertissement valable pour toutes, tous. Aucune zone n’étant stabilisée, il se peut que lors de notre visite, s’ébranlent des éléments, par contre coup faite au territoire : acier, tôle, déchiquetures, déséquilibrés, basculent alors dans un espace-temps à haut risque…
Par mesure de prévention, expressément, nous vous demandons de placer, dès maintenant, ce tissu blanc sur les orifices sensibles de votre visage. L’air n’est ici pas encore tout à fait désintoxiqué de toute violence.

ARCHEO 1 (que nous aurons suivi du regard, tandis qu’elle emplit de pierres noir mat, ramassées, éparses, une vasque translucide).

- Dans le cadre d’une guérison, d’une cicatrisation de ces douleurs subies par un trop grand nombre sur ce site et afin, que la réhabilitation, que la réappropriation en espaces de vies plurielles puisse s’effectuer sans peine, sans plus aucune peine, je suis chargée de recueillir en creux toute pierre, âme lourde, poids, présence étrange, ombre souffrante… il y en eût des milliers…
Ceux qui, le cœur serré, la main tendue veulent porter, recueillis, mains refermées sur, ici, sur une de ces âmes retrouvées, peuvent, quand et comme le souhaitent, l’emporter jusqu’à l’ombre glacée de la gare et la déposer là-bas…

(et offrira, de la main à la main, pierre douce, à chaque visiteur)

ARCHEO 5 (toujours suspendu, au surplomb)

- Là-bas : aucun instrument acoustique n’a pu rendre compte de ce que furent derniers soupirs, dernières plaintes, derniers gémissements. Ici : le décodage des boîtes noires, sur le même principe que celui qui sert à analyser les conditions dans lesquelles un avion s’est écrasé, est actuellement en cours d’élaboration.
Or les couches les plus profondes, les moins immédiates, sont brouillées, recouvertes par les flux ininterrompus d’un temps présent, battant, pulsé.
Les chercheurs qui prennent d’infinies précautions pour faire entendre des zones d’informations inédites, des poches sonores intimes, des fragments oubliés de l’histoire, ou rayés, ou déchirés, ont besoin de toute notre attention pour capter l’inaudible : ce qui fut enregistré avant, pendant la catastrophe, et ce qui, analysé, peut-être, aurait permis d’éviter les cataclysmes ultérieurs.

ARCHEO 3 (en déséquilibre physique ; et psychique : le site entier exhale une puissante odeur de limailles de fer qui, portée par des vents libres, enivre)

- Peuvent encore, incontrôlables et brusques, surgir à tout moment, à tout endroit, à tout envers des blocs décor : des émanations de rumeurs, plaintes sourdes, cris déchirants, hurle terreur hurle et rugit l’arme, bouffées de souvenirs aiguës, mêlées d’odeur de poudre ; fusil, canon, canon scié, pouvant provoquer trouble, ivresse passagère, perte de conscience du réel.
Malaxés : gaz suffoquant, anciens, brouillards de suie, de fumée, vapeurs d’eau suées, écrans derrières lesquels les vérités deviennent floues, trop floues pour être reconnues. Mirage possible : perdus, les points de repères habituels, incertains, déstabilisent. Reprendre souffle, calmer respiration.

ARCHEO 5 (reprenant le contrôle)

- afin que nous, ici et maintenant soyons en capacité d’analyser au fur et à mesure ce qui se dépose dans notre propre boîte noire personnelle, trions les informations, seuil de vigilance maximale – nous sommes responsables les uns des autres.
Et donc, à la fin du parcours, vous pourrez énoncer, parole libre, ce qui sera enregistré dans une ultime boîte noire, laissée sur ce chantier pour les générations futures ; comme signaux d’avertissements, dangers pressentis, attentions démultipliées. Vos voix singulières se frayant leur propre chemin de libération…

(- l’ARCHEO 4 entraîne le public vers le rail, se comportant en chef de chantier)

ARCHEO 4

- Or, cette voie ici est toute tracée : un chemin de fer désencombré d’un poids énorme qui le cuirassait de débris convulsés, d’apocalyptiques morceaux de métal broyé, de carcasses calcinées.
Bruits assourdis d’une catastrophe – 1re guerre monde – tombée dans l’oubli, d’où nous l’avons sortie : 1re boîte noire, exhumée, auscultée…

ARCHEO 5 ( chargé du décryptage systématique de toutes les boîtes noires, analyse et sa voix se mêle à celles retrouvées, amplifiées)

- les acteurs ne sont que des seconds rôles ou figurants, mais déjà là : silhouettes de gradés identifiables.
- (Partout : les chaînes d’une machine industrielle, machine de guerre, en continu, broyeuse d’hommes).
- Silhouette du caporal Adolf Hitler, conscience brûlée, aveuglée par gaz moutarde et rage fureur douleur - armistice insupportable, paix détestée.
- (Et la chaîne, masse de fonte aux chevilles aux poignets, d’un Traité de Versailles qui entrave l’Allemagne).
- Silhouette d’un capitaine, déjà visionnaire, De Gaulle.
- Silhouette d’un général, chef des armées – Rigidité. Le crépitement des fusils sous ses ordres, contre les mutins. Raideur figée. Voix de Pétain inaudible.
- Très loin, le corps déchaîné d’un porteur de révolution : Lénine.

(- la boîte s’est tue…)

Question envisagée : comment, après de si lourdes pertes, ne pas avoir envie de perdre la mémoire… comment se réparer sans exiger de son ennemi des réparations, humiliantes ; sans vouloir à tout prix, à n’importe quel prix, lui faire payer « ça » ?

ARCHEO 1 (accroupie au creux d’une clairière ravagée par le feu, comme apercevant des ossements calcinés)

- Tombés au champ d’honneur, aux champs de guerre, sur le champ…

ARCHEO 3 (chargé de repérer la fonction dangereuse du métal travaillé par l’homme…)

- détecté, un couteau, un couteau entre les dents, un homme, la figure du bolchevique

 

ARCHEO 4

- Filons comme flèche.

(- À partir de ce moment, insensiblement le groupe se met en marche : les individus s’autonomisent
- l’ARCHEO 1 est visiblement branché sur la vie qui continue… qui chante… mais aussi sur des textes porteurs d’effroi : extraits de « Mein Kampf »)

ARCHEO 4

- Or, cette flèche se retourne contre la ligne de vie qui courait à nouveau sur ce territoire européen en voie de guérison, bloque toute idée de progrès, toute avancée, pire : indique une régression, une involution.

( - en marche vers la boîte noire de 1922, d’où s’échappent fragments d’opéra, accents italiens, mussoluniens…)

- Premières secousses telluriques. Séisme politique. Irruption du fascisme. Années 22 : l’âme, cire malléable d’une Italie pieuse, se laisse imprimer par la marque d’un sceau implacable.

ARCHEO 5

- Comment échapper à la fascination envahissante – première publicité – d’une image photographiée désormais reproductible à l’identique, à l’infini plus vraie, plus fausse que vraie, d’un homme politique au sourire carnassier dévoilant, babines retroussées, la mâchoire vorace de la mort ; brandie sur un étendard noir, suivi par : paupières baissées, la foule. Comment résister à la répétition quasi magique, quasi religieuse d’un médium toujours nouveau ?

- Premier choc suivi d’un premier ébranlement psychique.

Question : comment rester éveillé, résister à l’indifférence, à la pression, à l’entraînement de la coulée emportée par des signes de ralliement, symboles de parti unique, de voie unique ?

ARCHEO 3 (très au-delà, depuis la lointaine montagne d’acier en pièces)

- Reconnaissance de la hache aiguë, fichée dans un boisseau vertical, le faisceau des licteurs.

ARCHEO 1

- Heurtés, choqués, piétinés, réduits à pas-grand-chose.

ARCHEO 3 (de plus loin encore)

- faucille et marteau, croisés.

ARCHEO 4 (de la boîte de 1929, s’échapperont des extraits des « Raisins de la colère »)

- Courent, sans bruit, courent encore les dettes de guerre qui creusent, minent les sous-sols allemands. Souterrainement se tarit, reflue le courant des prêts américains à l’Allemagne. La poigne de fer, main invisible d’un chancelier, plonge cynique le peuple allemand dans l’asphyxie d’une spirale déflationniste, revenus asséchés… preuve que la masse financière énorme des réparations ne peut plus être portée. … tandis que le moteur de l’économie avide d’énergie, de carburant, de flux liquides, tourne, tournent à plein régime les moteurs qui s’emballent, détraquent.

(- l’ARCHEO 4 traduira au fur et à mesure qu’ils se présenteront, les textes américains, allemands, espagnols…)

ARCHEO 5

- La grande marée d’une spéculation continue de déferler avec force – Hausse vertigineuse des cours – Chute – Craquement assourdissant – Le krak boursier de 29.
- Dépression.
- Des files, flots ininterrompus de chômeurs se gonflent dans le paysage percuté d’une économie mondialement paralysée ; serpentant entre les montagnes d’une surproduction sans débouché, sans écoulement, et les usines enrayées, les faillites innombrables. - Les hommes, femmes, vieillards, enfants, désorientés, désaxés, des organisés marchent, poussés par la faim.

Question : quels termes, nouveaux, quelles formule neuve, mettre au point en situation de crise nouvelle, entre actionnés et actionnaires ?

ARCHEO 1 (à la hauteur de la boîte noire de 1929)

- Abaissés, mis plus bas que terre, rabaissés encore, réduits à rien, à moins que rien.

ARCHEO 1 (émet la chanson de la Bolduc, tandis qu’ARCHEO 4 avance jusqu’au haut-parleur)

- Pétrifiés de peur, malheureux comme pierre, cailloux secs.

(- intervention de l’ARCHEO 1 différents textes)

ARCHEO 4 (la boîte de 1933 occupe tout le volume de la halle, ancienne gare de marchandise, dont les parois vibreront sous la puissance des voix SS, hitlérienne. Incendie).

- Frôlons le précipice. En décombre : la croix gammée, brisée à jamais… Traversons.

(une croix gammée, de métal tordu, est effectivement, énorme, ensevelie sous des blocs de béton armé)

ARCHEO 5

- Au milieu de ce tremblement de terre, de terreur, de ces grondements féroces, clameurs, applaudissements, des opposants au régime, pacifistes, communistes, syndicalistes, en nombre, protestants, catholiques, avant de disparaître, à contretemps, osent les premières mesures d’une partition qui deviendra celle de l’orchestre rouge.
Lecture pour tous cette revue populaire, fin 33, ouvre les yeux des Français sur un reportage, tellement effrayant, que les pages en sont vites tournées.

Question : comment, s’obliger à en croire ses yeux, à en croire ses oreilles, résister à la tentation de fermer les yeux devant l’horreur, de faire l’oreille sourde aux cris de douleur, aux appels, même déchirants ?

ARCHEO 3

- Casques d’acier ; longs couteaux couverts de sang, ô nuit ; verges d’acier maculées de sang, au grand jour.

ARCHEO 4 (la halle est dépassée …)

- Cette énorme boîte noire, - toutes les informations n’ont pu encore être analysées – fonds secrets, double fonds, - cette monstrueuse caisse de résonance des discours raciaux, eugénistes, antisémites, anti-communistes, vomit sans interruption un peuple pressé, compressé ; comprimé, réprimé, réarmé, au pas, aux ordres, à l’ordre. Les fers à souder d’une industrie de guerre crachent leurs langues de feu sans répit.
Répétition générale : Hitler envoie ses bombardiers. Les premiers stukas larguent leur charge mortelle sur l’Espagne prise dans l’étau d’une guerre civile.

ARCHEO 3

- Cinq flèches saisies, tordues, symbole laissé par Franco

ARCHEO 1

- Tombés sous les coups, tombent, muets.

ARCHEO 5 (dans les parages d’un simulacre, évoquant tête de taureau à la langue de fer raidie, aux flancs creux)

L’Espagne redessinée à l’encre rouge, trop rouge pour l’Angleterre et la France, se déchire, lacère ses propres entrailles et l’effrayant Moloch, minotaure inventé par les hommes eux-mêmes, fait claquer ses mâchoires, réclame à nouveau, au nom d’une patrie, sa part de chair fraîche, de sacrifice, d’holocauste, dans le brasier béant de son ventre creux – aujourd’hui éteint ?

Question : il serait à ce prix… tant de vies ? l’apaisement ?

- Intervention ARCHEO 1

ARCHEO 3

- Débris d’un pacte d’acier - entre Hitler et Mussolini. Blitzkrieg, guerre éclair, feu aveuglant.

Intervention de l’ARCHEO 1

ARCHEO 1

- Brisées, les âmes… broyées, les vies…

ARCHEO 4

- La ligne de vie se transforme en ligne de démarcation, ligne de partage d’une France cisaillée en deux - occupée, non occupée.

 

ARCHEO 3

- La Francisque, hache à double tranchant, double jeu, tranche le vif, le corps de la république.

ARCHEO 5

- En accéléré, les saccades compulsives de l’ombre démesurée du caporal Hitler devenu dément dictateur, démentiel metteur en scène, brouillent, détériorent le champ de vision.

ARCHEO 5 (aux environs de la boîte noire 1939/40)

- Agrandie : la silhouette de Pétain, devenu Maréchal s’incarne – gros plan.
- Reconnaissable mais déformée par l’exil : celle de De Gaulle, devenu général
- Et répondant au carnage de la première guerre : des décrets qui légitiment les déflagrations silencieuses de la catastrophe majeure – à venir – Autrement dit, traduit : shoah.

- La scène s’est dilatée aux dimensions démesurées du monde. Le théâtre n’est plus, plus qu’un gigantesque théâtre des opérations, qui dégoûte de sang, sous les nuées féroces d’un déluge de feu, de fer…

ARCHEO 3

- Fer, fil de fer, fer barbelé

ARCHEO 1

- Humiliés, rendus à l’humus de la terre
- Amas, masse, amassés

ARCHEO 3

- Un homme, un homme d’acier, Staline, Stalingrad, Kalachnikov.

ARCHEO 1

- En tas, entassés, tassés sur, formant bloc compact, opposition

ARCHEO 4

- Toutes les ondes sont utilisées. Toutes les lignes de communication, téléphoniques, radio, radar sont saturées de bruits de guerre.
Bruits de guerre, tout autour de la Terre
Bruits de guerre, en dessous des mers
Bruits de guerre, en dessus des airs

ARCHEO 3

- 4e DCR, 6e demi-brigade, char AMX, fusil de chasse, Panzer, canon, obus de 75, parachute GQX, pistolet-mitrailleur, train blindé, Sten, grenade, bombardier, charge de plastic, V1, V2...

ARCHEO 4

- Secrets, têtus, moral et nerfs d’acier, enfin armés, des hommes, des adolescents, des femmes, des justes, désobéissent, résistent.

ARCHEO 4

- Voici venu l’instant, le temps où nous touchons à nouveau la terre. C’est de ce morceau de sol, de ces voies désormais infranchissables, que partaient les trains de la mort. Ils furent 23 000 déportés, déportés parce que juifs.

Train de la mort

ARCHEO 4

- Et puis l’homme aveugle, frappe l’Homme aveuglé. Feu nucléaire. Pluie noire…

[bombe, explosion Hiroshima]

ARCHEO 1

- Pulvérisés, poudre de suie, de cendre noire

ARCHEO 4 (les voies sont barrées par une haute large barrière de métal tendue d’une pièce de maille noire qui se plaque au moindre frémissement)

- Je n’ai pas été votre guide…
Nul ne doit l’être.
Ni duce, ni führer, ni caudillo…
- la conduite de votre vie vous appartient
- vous êtes à la tête de votre propre cohorte d’angoisses, de questions foisonnantes, buissons voraces d’interrogations souples comme nœud de tensions contradictoires.
Ce chemin dé-bouche au beau milieu de croisements entre passés, simples, passés composés, recomposés, passés, imparfaits, présents…
Dé-bouche…
Des bouches, désormais peuvent s’ouvrir…

ARCHEO 1 (devant l’ancienne gare, dont les orifices sont occultés, panneaux peints, noir éteint : l’entrée de la porte a comme laissé tomber son ombre, au sol, obliquement. Sur cette ombre l’ARCHE0 4 plus tard les spectateurs iront déposer les pierres, portées)

- Bouches contre bouches derniers souffles de vie, premier souffle de vie chaîne douce ininterrompue des vivants et des morts, des morts et des nouveaux nés, premiers nés, maillons forts
- nous ne cessons de nous suivre, de nous poursuivre en longues lignées, les uns les autres.
Et voiçi que, témoins lointains et proches, nous posons l’objet : sujet de notre vigilante attention.


ARCHEO 5 (tenant à la main un cube noir en velours rassurant, elle s’en ira au-devant des messages, énoncés par les spectateurs).

- Ici, de cette gare, boîte noire, rien ne put être entendu. – Mais maintenant en cette profonde, actuelle boîte noire, tout peut être recueilli, non vos dernières paroles, mais vos premières… inventées.

Face au mur de la gare, juste de l’autre côté, découpée plein ciel, la reproduction de la cité de l’Étoile, sa tour, ses immeubles : géométrie aperçue au loin ; et sur ces nouveaux supports, plaques rouillées, belles : des fenêtres-cadres : où s’exorbitent les yeux, les rires, boulons ronds, roues dentellées, oreilles disproportionnées… les enfants de la cité ont ramassé des bouts de… et en ont fait figures très présentes ou œuvres abstraites ? … hilares…


Maryvonne Vénard – mai 2005

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